Parmi les produits courants dans notre alimentation, s'il
y en a un qui a besoin d'être mieux connu et réintègre
dans ses droits pour qu'il soit plus utilisé, c'est bien
le Soumbala, parfois appelé moutarde africaine dans la
littérature. Fruit de la science et de l'art culinaire
de nos grands-mères et mères, le Soumbala faisait partie
de ces "secrets d'Etat" qui donnaient à leur
cuisine cette saveur extraordinaire que nous avons tant
de mal à retrouver aujourd'hui, et qui nous laisse nostalgiques
d'un passé bien résolu.
Du soumbala, on a essayé et on essaie encore peut-être
de dire un peu de bien, l'heure étant au "consommons
africain". Mais en dehors de quelques chercheurs
non soutenus et qui, sans faire du mal à personne, restent
dans leurs laboratoires et écrivent mille et une pages
sur les qualités et les bienfaits du soumbala, rien
n'est vraiment fait pour la promotion de ce produit
qui ne demande qu'à rendre d'utiles services à notre
santé. Le soumbala est en effet un petit produit qui
peut rendre mille et un services à notre santé. Mais
pour que cela soit possible, il faut qu'il soit mieux
connu. Faire mieux connaître le soumbala, c'est un peu
l' ambition de cet article à trois parties : une première
partie qui présente sommairement l'arbre dont le fruit
est transformé en soumbala, une deuxième consacrée au
processus technologique de fabrication du soumbala,
et une troisième partie qui montre quelques caractéristiques
du soumbala.
1) Un arbre pas comme les autres : le néré
De son nom scientifique Parkia biglobosa, le néré
est un arbre bien connu, caractéristique de la savane
en Afrique de l'Ouest. Il pousse naturellement dans
les champs, dans la brousse et devient un très gros
arbre qui peut vivre plusieurs dizaines d'années. Certaines
ethnies qui attribuent un certain pouvoir de protection
-en particulier du champ dans lequel il est situé ;
ce qui explique la vénération dont le néré est parfois
l'objet dans ce cas-là. On dit même que cet arbre aime
la compagnie de l'homme et que c'est volontairement
qu'il pousse dans ses champs. En fait, il semble que,
la dissémination de la graine soit surtout assurée par
de petits rongeurs qui grimpent sur l'arbre dont ils
mangent les fruits sur place ou les transportent non
loin du lieu de la cueillette. Dans tous les cas, il
est important de noter la très grande utilité du néré
pour l'homme. Cela est si vrai que dans certaines sociétés
africaines, seuls les hommes peuvent en avoir la propriété,
c'est-à-dire, en réalité, la propriété de la graine,
celle de la pulpe jaune revenant généralement aux femmes.
Ailleurs, ce droit de propriété n'est même pas reconnus
à tous les hommes mais seulement aux chefs de terre
; En dehors du karité, très peu d'arbres font la part
des hommes. Le grand sujet d'intérêt, c'est le fruit.
Le fruit du néré se présente sous la forme d'une grappe
de gousses d'environ vingt centimètres de longueur contenant
des graines enrobées dans une pulpe jaune. Celle-ci
est très appréciée des enfants qui la consomment directement
telle quelle ou délayée dans de l'eau. Mais les adultes
aussi s'en régalent volontiers.
Cependant, cette manière d'utiliser le grain de néré
reste secondaire, car la partie la plus recherchée du
fruit reste la graine débarrassée de la poudre jaune
et de son enveloppe. C'est cette graine en effet qui,
après transformation, devient ce soumbala tant prisé
des dieux. Mais comment obtient-on le soumbala ?
2) Méthode de fabrication du soumbala
- cueillir le fruit
- séparer gousse, graine et pulpe
- laver les graines à l'eau
- écher au soleil
- cuire longuement à feu vif (entre 12 et 24 heures)
- égoutter puis décortiquer par pilage ou à la meule
- laver à l'eau
- cuire à feu vif (environ 10 heures)
- égoutter
- saupoudrer d'un peu de cendres ou de farine de
mil ou de maïs germé
- laisser fermenter deux ou trois jours
- saler
- conditionner en faisant des boulettes avec les
graines ainsi fermentées (graines conservées telles
quelles ou réduites en pâtes).
NB. Pour prolongée leur durée de vie et permettre
leur meilleure conservation, les boulettes peuvent être
séchées au soleil, fumées et ensuite conservée telles
quelles ou réduites en poudre.
Il est important de préciser que le diagramme de fabrication
présenté ici n'est qu'un effort de lecture standard
de ce qui se fait traditionnellement. Aux différentes
étapes en effet, on peut oberver des variantes d'une
région à l'autre et parfois d'une productrice à l'autre
dans la même région. Ces variantes qui déterminent les
différences de qualité du produit à la fin de la chaîne
, interviennent principalement à certaines étapes.
2.1. Etapes où s'observent des variantes dans le
processus :
- la durée de la première cuisson : le temps varie
du simple au double et parfois même plus ;
- le décorticage des graines : il est fait soit à
la main soit dans un mortier. Mais souvent, sinon
presque toujours dans ce dernier cas, le sable est
utilisé pour faciliter l'abrasion ;
- le temps de la deuxième cuisson varie également
du simple au double ;
- la durée de la fermentation peut varier de deux
à trois jours.
2.2 Quelques remarques à propos de ces variantes.
2.2.1. Le temps de décorticage n'est généralement
pas compté or il intervient:
En effet le mis à décortiquer a déjà subi une première
cuisson , donc une modification de ses composants chimique
.Or même si elle est légère , celle-ci doit probablement
se poursuivre surtout lorsque le décorticage est manuel
et qu'il faut attendre le refroidissement des graines
avant d'entamer cette opération . Pour cette raison
, au niveau d'une productrice donnée , si ce n'est pas
très sensible , on obtiendra très vraisemblablement
deux produits différents selon qu'elle a fait le décorticage
manuellement ou par pilage .
2.2.2. Dans la technique du décorticage par abrasion
, l'utilisation du sable peut introduire dans le soumbala
soit des impuretés soit des micro-organismes " indésirables
" , sans compter qu'il peut se poser d'une part le problème
de l'élimination complète des graines de sable utilisées
d'autre part, et plus grave , celui de l'élimination
de la fine boue liée à l'utilisation du sable , la boue
fine pouvant contenir des germes bactériens . On peut
penser qu'on est un peu à l'abri de ce risque étant
donne les traitements thermiques et les lavages intégrés
au processus . Mais cela n'est pas du tout évident .
Dans une étude récente en effet , Diawara et al . (1993)
, signalent que les traitements thermiques ne détruisent
pas tous les micro-organismes contenus dans le lot des
graines de néré . Il semblerait même que l'innoculum
potentiel pour la fermentation serait d'origine endogène
et constitué par des spores de bactéries thermorestantes
.
2.2.3. Pour une même étape " cuisson " , les différences
de durée sont importantes puisqu'elles varient du simple
au double . C'est presqu' une lapalissade que d'annoncer
qu'il y'a un changement de structure ( physique et chimique
) qui explique la différence de circonstance entre deux
produits biologiques originellement identiques mais
qui ont subi deux temps de cuisson différents .
2.2.4. Les différences dans le temps de fermentation
induisent certainement des différences au niveau du
goût .
3) Propriétés particulière du soumbala
Le soumbala a la réputation de sentir mauvais . C'est
tout à fait normal . On ne peut pas subir tous les traitements
signalés plus haut sans finir par se doter d'une certaine
personnalité quand même ! Le soumbala lui , a sa manière
de revendiquer le respect de la sienne . Comme tous
les rois , partout où il est , il se fait annoncer de
loin ; il ne passe pas inaperçu , noblesse oblige !
Mais qu'apporte le soumbala sur le plan nutritionnel
? Et sa consommation présente-t-elle réellement un intérêt
sur le de la santé ? Avant à ces questions, il convient
de commencer par signaler que très peu d'études systématiques
existent sur le soumbala malgré l'intérêt qu'on lui
porte depuis quelques temps. Signalons cependant que
les chercheurs (surtout nigérians et burkinabé) qui
ont travaillé sur la question sont tous d'accord pour
affirmer la grande richesse du produit.
Une étude de la FAO faite par A.M Ouédraogo (1986)
indique par exemple que 100g de soumbala sec apportent
à l'organisme 432 calories et contiennent 36,5 mg de
protides, 28 ,8 g de lipides , 378 mg de fer. On signale
également la présence de la vitamine B2 et la vitamine
PP dans le soumbala, ainsi que bien d'autres éléments.
Cette composition pourrait expliquer en partie les
vertus thérapeutiques et de maintien de la bonne santé
qui sont attribuées au soumbala. Sa consommation régulière
serait en effet un bon moyen pour prévenir l'hypertension
artérielle et même lutter contre elle. Elle préviendrait
également ou réduirait certaines formes d'anémie. Il
semble par ailleurs qu'elle donne de très bons résultats
dans les traitements de certains cas de décalcification
.
Plus généralement , on attribue au soumbala un pouvoir
de renforcement de défenses immunitaires, particulièrement
en matière de prévention du cancer. Certaines ethnies
appliquent des cataplasmes de soumbala sur les parties
concernées en cas de piqûre de scorpion ou d'abeille.
Ailleurs, le soumbala est servi, avec un peu de sel,
aux malades qui vomissent du sang. Dans les cas de grandes
fatigues, il est recommandé de consommer pendant quelques
jours une soupe de soumbala pure ou additionnée à un
peu de légumes pas trop cuits. C'est surtout le jus
de cuisson qui jouerait le rôle de remontant énergétique,
etc. Malgré ces richesses, le soumbala reste un produit
méconnu et même méprisé dans certains milieux intellectuels.
4) Mais alors le soumbala est -il en perte de vitesse
?
Assurément oui ! Et la question naturelle qui suit
ce constat, est pourquoi ? Les raisons en sont nombreuses.
Nous examiner (03) trois d'entre elles.
4.1. La sécheresse a eu des effets néfastes sur
le néré.
Bien qu'elle ne soit pas la plus importante, cette
réponse est la première qu'il faut donner à la question
du pourquoi. Le néré n'est pas une plante très exigeante
en eau et il est même connu que la consommation de la
pulpe jaune a sauvé de la famine plus d'une famille
pendant les dures années de sécheresse. Cependant il
est hors de doute que les sécheresses répétées des années
70et 80 ont eu des effets néfastes sur le développement
naturel du néré, ce qui a donc réduit la population
du néré alors que dans le même temps la population des
hommes, elle, s'est accrue. Les hommes n'ayant pas changé
leurs habitudes de consommation, les opérations de cueillette
du fruit du néré sont devenues plus souvent effectuées
avant la maturité physiologique complète du fruit. Le
prix de la graine a grimpé sur le marché. Et le cercle
vicieux s'est installé avec de forts relents commerciaux,
au mépris des lois ancestrales de protection de l'espèce
qui visaient deux objectifs :
- permettre au fruit d'arriver à maturité physiologique
complète, ce qui donne une pulpe plus succulente,
une graine et donc un soumbala de meilleurs qualité
;
- permettre à la plante entière de suivre annuellement
son cycle normal de reproduction.
4.2. Le soumbala est plus en plus trafiqué.
Le soumbala trafiqué ? Hélas oui ! Quand l'appétit
commercial désordonné prend la place du bon sens et
que les scrupules sont renvoyés dans la besace portée
au dos , tout devient possible malheureusement. L'importance
du fait reste à déterminer. Mais ce qu'il faut dire
avec force aujourd'hui, c'est qu'il n'est pas du tout
certain que le soumbala acheté sur le marché n'ait pas
connu un ajout de produits non améliorants et étrangers
à la chaîne normale de production . Il s'agirait en
particulier des produits toxiques comme ceux que les
vendeuses de fruits au détail utilisent pour en accélérer
artificiellement la maturation . Que devant cette situation
les consommateurs informés préfèrent s'abstenir de soumbala
plutôt que de s'empoisonner à bon marché, quoi de plus
normal ? Surtout s'il s'agit de consommateurs ou consommatrices
qui ne savent ni en préparer ni comment se procurer
le bon.
4.3. Le marché est envahi par des substituts de
soumbala
Vrai ou faux ? Vrai. Il n' y a qu'à voir tous ces
petits cubes mercenaires qui encombrent le marché et
sont en train de prendre la place du soumbala dans un
combat tout simplement déloyal. Pourquoi déloyal ? Parce
que en réalité, ce cube mercenaire ne nous dit pas réellement
qui il est, la publicité se mettent en quatre pour faire
passer pour de l'or pur ce qui n'est même pas de la
dorure.
Normalement dans un article sur le soumbala, on ne
devrait pas parler de ce petit cube mercenaire. Il ne
mérite pas cet honneur, se petit cube qu'une grand-mère
outrée appelle d'ailleurs volontiers " vos cochonnerie
". On la comprend ! mais que contient-il, ce petit cube
mercenaire ?
- un sel : le glutamate monosodique qui semble en
être l'élément essentiel (parfois vendu seul ou conditionné
de quelques adjuvants, le glutamate de sodium, qui
se présente sous forme de paillettes blanches vise
à jouer le même rôle que le cube mercenaire ) ;
- un peu de soja : c'est à cause de ce soja que les
producteurs et promoteurs de ce fameux cube mercenaire
le prétendent riche en protéines. Une astuce commerciale
qui marche bien ;
- des glucides apportés par les féculents qui, vraisemblablement,
servent en même temps d'éléments probants ;
- du sucre caramélisé : pour qu'il prenne une belle
couleur brune, le sucre est porté aux environs de
170°c . ;
- des conservateurs.
Trois petites remarques peuvent être faites à propos
de ce produit :
- Certains disent qu'étant donné la température de
la caramélisation du sucre, il n'est pas impossible
que le cube soit cancérigène. C'est une inquiétude
qui a besoin d'être retenue (mais uniquement comme
inquiétude sérieuse) tant que des travaux sérieux
n'auront pas démontré le contraire. Par conséquent,
il ne faut pas se dépêcher de la balayer du revers
de la main.
- la législation, tout au moins la législation occidentale,
impose aux producteurs en alimentation d'indiquer
la nature , entre autres, des acidulants, conservateurs
et autres, utilisés dans leurs produits. Ceux-ci du
reste font l'objet de prélèvements et contrôles réguliers.
Dans notre sous-région, même s'il existe une réglementation
sur la question, elle n'a ni l'organisation, ni la
rigueur de ce qui se fait au Nord. Donc le chemin
est ouvert pour toutes les possibilités de fraudes.
Et puis, peut-on parler de fraudes s'il n'y a pas
de loi ?
- Quel est l'effet de l'association sel-sucre caramélisé
et autres sur la tension artérielle ?Le petit cube
mercenaire serait-il un facteur favorisant l'hypertension
comme certains l'affirment ?C'est un débat de société
qu'il faut mener en ayant à l'esprit comme seule préoccupation
la santé des consommateurs.
5) Que faire pour que le soumbala soit mieux connu
?
5.1 Eviter de se lancer dans une fausse guerre contre
le petit cube mercenaire. Les énergies ont besoin d'être
concentrées ailleurs.
5.2. Il y a des pays comme le Burkina qui ont des
projets de recherche sur Parkia biglobosa, soit pour
l'utiliser comme arbre de reboisement, soit sous d'autres
aspects. C'est assurément une voie très porteuse.
5.3. Dans la chaîne de production du soumbala , les
travaux les plus pénibles concernent la récolte du fruit,
le pilage des graines , la cuisson .Un effort de recherche
technologique peut porter sur chacun de ces points en
vue de standardiser la fabrication du produit sans qu'il
perde ses qualités traditionnelles.
5.4. Une campagne doit être entreprise auprès des
producteurs et commerçants de soumbala pour éviter qu'elles
introduisent des produits dangereux pour la santé, lors
de la fabrication et du reconditionnement .
CONTACT: B.P.350 Bobo-Dioulasso Burkina Faso
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